Après ça s’était calmé. Page 6.

p

p

p

Le samedi après-midi, j’avais demandé à G de me dire s’il avait besoin d’être seul. Qu’il n’hésite pas. Il avait répondu qu’il n’avait donné aucun signe d’agacement, d’où est-ce que je tirais ça ? Il avait demandé que je ne me prenne pas la tête. Il avait dit qu’il voulait aller se coucher, qu’il avait mal au ventre — je restais dans le salon pour t’écrire. Quand il s’était levé et qu’il m’avait rejoint sur son canapé, il avait affronté ton visage sur l’écran de mon ordinateur. J’avais rabattu le couvercle. On avait parlé du matin quand on avait essayé d’avoir une relation sexuelle mais ça n’aboutissait pas. Ce n’était bien ni pour lui, ni pour moi, on en était conscient tous les deux. J’avais remis sur le tapis, j’avais dit : c’est moi ? Ça te stresse ?

Il avait dit : oui.

Et : un peu.

Plus tard il dirait que ce n’était pas moi en soi. Plutôt la situation. Il parlerait au téléphone de notre sexualité, il utiliserait le possessif : notre. A nous. Il dirait : c’est bien si notre sexualité se passe en haut, c’est bien, c’est notre sexualité. Ça ne veut pas dit que ça n’arrivera pas en bas.

Il demanderait que je laisse le temps. Et les choses se faire.

Petit à petit on entrait dans une projection de la relation : G disait qu’il ne voulait pas être le troisième, il disait que j’avais un mec, toi, que je n’allais pas quitter, il en était conscient, il ne se demandait pas ce qu’on faisait là, mais il trouvait moche, moi avec lui, toi en province, il ne comprenait pas. Je m’étais mis à pleurer, il avait dit : arrête de te torturer.

Il disait qu’il n’était pas malheureux mais que moi, je l’étais.

Il disait aussi qu’il venait de s’installer dans cet appartement, qu’il y prévoyait une vie de célibataire, que brusquement on agissait comme si on était en couple ou comme si j’étais son mec alors qu’on savait lui et moi que ce n’était pas le cas.

Je savais que l’on arrivait déjà à une impasse et je ne pouvais pas le supporter. Je m’étais habillé, il avait dit : je ne te demande pas de partir, on s’était embrassé, il avait le visage tiré, moi les yeux trempés, je pleurais encore — en fait je pleurais chaque fois que G m’embrassait, depuis le premier jour, je me rendais compte qu’il y avait la proximité de son visage que je regardais et qui forçait mes yeux, mais qu’au-delà du problème physique, je pensais en permanence que ce n’était pas possible entre nous et que c’était dégueulasse que je le rencontre maintenant.

On s’était laissé au coin de la rue, il allait chercher des cigarettes et moi je rentrais chez moi. On s’était embrassé encore, puis serré, il me tenait contre lui et je pleurais toujours, j’avais dit : prends soin de toi — ma bouche se plissait pour me forcer à me contrôler, mais je n’y arrivais plus. J’avais marché jusqu’à la station de métro sans me retourner, les larmes coulaient sur mon visage et les gens me regardaient mais je laissais faire.

Arrivé à l’appartement, le téléphone avait sonné : c’était lui.

Il avait dit que ça n’avait pas de sens que l’on arrête cette histoire sous prétexte qu’on n’avait pas réussi à baiser ou qu’il avait mal au ventre. Il avait dit que je devais me calmer et ne pas amener avec moi mes problèmes avec toi dans notre histoire. Il avait dit que quand il disait qu’il ne voulait pas être le troisième, il voulait dire : chez lui, dans ce que l’on vivait ensemble. Quand il disait d’arrêter de me torturer, il ne disait pas : dégage, ni : prends tes affaires et va-t’en. Il disait simplement : arrête de te faire du mal. On avait convenu que c’était mieux de ne pas se voir ce soir-là : il avait besoin de se reposer et moi de réfléchir. On avait parlé une heure presque, il me gardait en ligne, il ne raccrochait pas, il me racontait ce qu’il faisait, les cartons qu’il ouvrait à la recherche de sa télécommande, je pensais : il m’aime.

J’avais pris un bain, j’avais dîné devant l’ordinateur. J’écoutais de la musique, je buvais du vin rouge. Je m’étais couché vers onze heures trente sans me sentir malheureux, je m’étais endormi immédiatement. Je m’étais levé à huit heures et demie, j’étais passé sous la douche, à neuf heures j’étais dans les bureaux de vote, à dix, au café avec un bouquin. Je t’avais écrit un mail, puis je t’avais envoyé ma photo avec ma carte électorale. Je l’avais envoyée à G aussi. Il avait répondu dans les cinq minutes. Il me trouvait joli, il demandait ce que je faisais et si on buvait un café. J’avais répondu que j’en serais heureux, je demandais où. Il avait envie de faire des brocantes, on s’était retrouvé trente minutes plus tard à Marcadet. Je lisais un livre en l’attendant. Il m’avait embrassé sur la bouche et on était parti main dans la main.

On avait bu plusieurs cafés sur le chemin, on avait fait un vide-grenier à Montmartre, on y avait déjeuné puis on s’était enlacé parmi la foule des touristes sur les marches du Sacré-Cœur. Il ne disait pas : je t’aime, je ne le disais pas non plus, je le dirais plus tard, il ne répondrait pas, du moins : ne dirait pas les mots.

Mais : si un matin j’ai la nausée, ce n’est pas à cause de toi.

Les mots expriment autre chose que ce qu’ils disent exactement.

Si je ne dois pas m’inquiéter un matin, c’est que ce matin en question, je serai là.

Les mots ne disent pas non plus ce qu’ils ne disent pas.

Je serai là par hasard ou par amour — on ne sait pas.

La certitude, c’est la relation. Pas le sentiment. La certitude, c’est une projection dans laquelle G et moi, on est ensemble, un matin.

Ne pense pas trop — disait-il la veille, au téléphone.

Arrête de te prendre la tête.

Sois heureux.

Moi tu ne me rends pas malheureux.

Quand j’ai dit que j’avais envie de rentrer, me reposer, que j’en avais besoin, son sourire s’est élargi. On allait chez lui, ça faisait un moment qu’on marchait main dans la main, on ne se lâchait pas, il me parlait, il avait dit : j’ai un coup de pompe… brusquement. Moi j’y pensais depuis un moment mais ça ne sortait pas, je n’arrivais pas à dire que je voulais rentrer, sa phrase m’en avait donné l’opportunité. Je ne m’étais pas servi de sa fatigue comme excuse, mais de la mienne — et ce n’était pas une excuse. J’avais dit ce que j’avais envie de faire.

Il avait ri, il avait demandé : alors, c’est si difficile que ça ?

Il m’avait pris dans ses bras, sa bouche sur la mienne, on s’était embrassé vraiment, plus du bout des lèvres, mais sa langue à nouveau tournait dans ma bouche, j’avais éloigné mon visage, il avait demandé que je dise le fond de ma pensée, il insistait, je secouais la tête, finalement j’avais laissé échapper un : je t’aime.

Il avait souri.

On avait marché vers le métro, il avait parlé de ses nausées, il ne lâchait pas ma main, il avait passé la sienne dans mon cou pour que je comprenne bien, n’est-ce pas, que ce n’était pas moi, mais lui, le jour où il aurait la nausée à cause de ses médicaments.

Tu l’entends, là ?

J’étais descendu dans la station, il avait continué son chemin. La veille je pleurais, cette fois je souriais.

Mes mots ne disent rien d’autre que ce que je dis.

Au téléphone il a dit : ça durera six jours, six semaines, six mois ou six ans, on ne sait pas. Mais c’est une jolie histoire, ce serait stupide de l’arrêter.

Les mots ne disent rien d’autre que ce qu’ils disent.

a

<<          >>  

p

p