A Marie-Laure Béraud, pour la clé.

De tout ce que ces photos me donnent à voir, je ne connais, ne reconnais que celui qui les a prises et qui s’y prend parfois, aussi, retournant contre lui-même – ou pour lui-même – le téléphone qui lui sert d’appareil photo : Laurent Herrou. Il est le « je » photographique, le « je » auto-photo-bio-graphique autour duquel les visages, les corps, les lieux, les objets se donnent à lire, à saisir, à comprendre.

Cumprehendere : « saisir avec ». Le photographe capte les autres, les emmène dans son monde, dans son histoire. Les autres – visages, corps, paysages, lieux – n’ont d’existence que par rapport à lui : aucune autonomie, aucun sens en dehors de ce « je ». Le spectateur en fait d’ailleurs immédiatement l’expérience, qui se demande quelles relations ces personnes entretiennent-elles avec Laurent Herrou ? Où est-il ? Quand cela se passe-t-il ? La question que l’on se pose, qui se pose à chacune de ces images, porte sur ce qu’elles disent de celui qui les prend.

Dans leur continuum, elles racontent une histoire.

Quelle histoire ?

Son histoire ?

Une fiction dans laquelle « je » se raconte… Une autofiction…

Le continuum n’a de sens que dans les ellipses qu’il impose. Laurent Herrou en possède les clés. Les autres visages, devenus personnages de cette histoire, aussi, peut-être.

Le spectateur, lui, se laisse happer, naïvement. Il suit la narration, la reconstitution, la transformation d’une vie qui défile sous ses yeux.

Le spectateur, lui, se laisse prendre au je…

Arnaud Genon

Arnaud Genon est docteur en littérature française et professeur certifié en Lettres Modernes. Il enseigne actuellement les lettres et la philosophie en Allemagne, à l’Ecole Européenne de Karlsruhe. Il a cofondé les sites herveguibert.net et autofiction.org.