« (…) non seulement nous vivons avec nos morts, mais cette relation
intérieure que nous avons avec eux est une des choses les plus
intenses et les plus belles qu’il nous soit échu de vivre »
Alexandre Lacroix, Pour que la philosophie descende du ciel, 2017
Les photos sont là, dans une pochette bleue, posée sur mon bureau. Elles m’ont toutes été données, il y a plusieurs années, soit par papa, soit par ma tante, Y. Je les ai remisées dans un meuble de l’appartement de Saint-Etienne-de-Baïgorry où elles reposaient en paix jusqu’à ce que j’en exhume quelques-unes, il y a deux ans, pour l’écriture de Tu vivras toujours, avant de les ranger, de nouveau.
Ce sont des photos de maman. D’abord quand elle n’était pas maman, quand elle était encore enfant. Puis j’apparais sur les images, en même temps que la couleur. Et je grandis dans le creux des ellipses temporelles que la juxtaposition des clichés impose.
Sur la dernière photo, je n’ai pas encore treize ans. Nous sommes à Biarritz, boulevard du Prince de Galles. Les cheveux de maman ont repoussé, nous sourions. Je n’ai pas d’autres photos avec elle qui soit postérieure à celle-là. Pas ici, en tout cas. Ensuite, sur les photos, elle est l’Absente.
Aujourd’hui, je suis plus vieux que maman n’a jamais été. Je suis papa et maman ne m’a jamais connu papa, je n’ai toujours été que son enfant. J’ai deux enfants qu’elle n’a jamais vus et eux, mes enfants, ne l’ont jamais rencontrée. Ils ne sont pas du même côté de la vie. Entre eux, l’espace d’une vie, le temps d’une mort.
Les photos sont là, dans une pochette bleue, posée sur mon bureau. Effie, ma fille de huit ans, me demande souvent de les regarder, depuis que je les ai ramenées avec moi, en Allemagne. Un jour, j’entre dans sa chambre. Nous nous asseyons sur le carrelage que le soleil chauffe. Elle retire les élastiques de la chemise, l’ouvre comme si elle renfermait un trésor. Elle prend les photos, les observe. L’histoire commence.
De ce qu’il adviendra, je ne sais rien.