Après ça s’était calmé. Page 11.

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Je n’ai pas pleuré tout de suite. J’ai soutenu le regard, je souriais, je me moquais de son cheveu sur la langue, nos mains se frôlaient, G me regardait profondément.

Je n’ai pas envie de ça.

Il ne remettait pas en cause : le dimanche merveilleux, la balade, les soirées, comment on s’embrassait, la connexion, les coïncidences. Mais la veille, on avait passé la soirée ensemble. C’était le lundi soir, on ne s’était pas vu du week-end : il avait des trucs à faire, moi je t’avais promis d’être avec toi. Et tu en avais abusé, tu avais été là tout le temps, tu ne m’avais pas laissé respirer, écrire, il avait fallu que tu me suives, partout où j’allais, j’acceptais, je me disais que tu étais mal, ça n’avait pas d’importance que je le sois moi aussi.

Le lundi tu travaillais à quinze heures trente.

On avait passé la matinée ensemble, on avait bu un café dans un bar, je t’avais pris en photo, tu étais si beau, tu m’avais demandé si j’avais des plans pour la soirée, je ne savais pas encore mais j’avais répondu que j’irais voir G, sans doute. Tu tiquais, petite contraction près de l’œil sur le côté gauche de la tempe, tu te retenais, tu avais du mal, tu ne demandais pas de précision, tu disais juste que ça ne te faisait pas plaisir, mais je faisais comme je voulais, tu ne posais pas de questions. Tu étais parti à contre-cœur, tu avais envoyé des sms. Moi je devais travailler, et j’avais des choses à faire à la maison, dont je m’étais occupé d’abord. La veille, j’avais écrit à G que je l’appellerais dans la soirée, pour l’apéritif, aussi il n’y avait pas d’urgence. Et j’avais peur qu’il me dise de ne pas venir.

J’avais finalement appelé, il était dans le RER. Il avait dit : viens, mais j’ai des trucs à faire. J’avais dit que je pouvais ne pas venir s’il préférait, il avait répété : si, si, viens. Il avait une voix joviale, entraînante, je voyais son sourire à travers l’appareil, je l’imaginais qui me souriait, à moi, dans le métro.

J’avais acheté une bouteille de whisky et les biscuits apéritif qu’il aimait, et qu’il avait du mal à trouver dans son quartier. J’avais pris mon temps, j’avais sonné un peu avant sept heures. Il montait un meuble dans sa cuisine, il avait dit : je continue, tu remarques, je ne m’arrête pas — il riait.

Moi je pensais : va-t’en, il se fout de toi.

Je pensais aussi que c’était un jeu, un test, une sorte de test bizarre, mais ça allait. Il ne cessait pas de demander : et toi, dans ta vie ? Ou : et sinon, quoi de neuf ?

Je pensais : ça tourne en rond, déjà, plus rien à se dire ?

Je pensais : pourquoi tu ne lui parles pas, pourquoi tu ne dis pas ce que tu ressens ?

Au lieu de quoi je l’avais aidé finalement à fixer son meuble au mur, et le résultat était réussi, et il souriait de plus belle, satisfait.

Il avait proposé un verre, il avait servi deux whisky Coca, il était assis à l’autre bout du plan de travail, près de la fenêtre pour fumer, moi près de la porte et du frigo, on se passait les biscuits apéritif, il n’arrêtait pas de sourire, on se parlait en fait, je ne me souviens pas de ce qu’on se disait mais on parlait.

Il parlait.

Il était au bout du plan de travail, je m’étais levé, j’avais dit : tais-toi.

J’avais marché vers lui, j’avais pris sa tête dans mes mains, j’avais dit : tu m’as manqué, j’avais demandé : et moi, je t’ai manqué ? Il avait répondu que je savais qu’il avait des trucs à faire le week-end passé, j’avais dit : moi aussi, j’avais des trucs à faire, mais ce n’est pas ce que je te demande. Il avait ri, il avait eu ce mouvement de tête que j’aime, il avait dit : mais oui, tu m’as manqué.

A partir de là, ça avait été mieux.

On buvait, on parlait, ça n’arrêtait pas, je m’allongeais sur son lit, il venait me rejoindre, je le caressais, il avait mal au dos, on s’embrassait doucement, il se redressait, il me regardait bizarrement, quelque chose qu’il ne comprenait pas, puis il se rallongeait. Je crois qu’il comprenait ce qui se passait entre nous, et l’impossible réalité. Ou peut-être qu’il n’en voulait pas, de cette relation-là, et qu’elle le dépassait.

Tu envoyais des sms, et j’avais répondu à certains, pas à d’autres, je te laissais faire, tu avais dit que tu allais accepter, que c’était dur mais.

J’étais confiant.

G avait mis de la musique, on dansait, c’était drôle, il m’avait montré son travail sur ordinateur, ses dessins. Je ne sais pas à quel moment on avait éteint la lumière de la cuisine, mais on s’embrassait contre un mur, il se frottait à moi, il me disait que j’étais sexy. Il bandait, moi aussi, je m’étais retrouvé torse nu, contre lui, on s’embrassait de plus belle, je pensais à la nuit qui avançait, l’heure qui tournait, G aussi probablement, il avait ramassé mon tee-shirt et il me l’avait rendu. J’étais allé vers la chambre, ou peut-être était-ce avant : il y avait un message, tu avais rencontré des amis à moi dans le métro et l’espace d’un moment j’avais imaginé que vous veniez tous ici, chez lui, la soirée sympa que l’on aurait passée. Parce que je savais que tu aimerais G un jour, et que j’irais bien.

Que tout irait bien.

Je m’étais rhabillé, j’avais laissé un message sur ton répondeur pour dire que j’étais encore là, que j’étais bien, que je rentrerais bientôt, tu avais écrit plus tôt : si tu veux dormir chez lui, ça me va. Je pensais que tu t’y faisais, j’étais serein.

Puis il y avait eu un nouveau message, G m’embrassait sur le lit, tu hurlais sur mon répondeur que je me foutais de ta gueule, tu demandais où j’étais, tu disais : tu rentres tout de suite ou je balance tout sur le palier, tu menaçais, je t’avais rappelé immédiatement pour te rassurer, mais ça avait continué, les hurlements, tu disais : qu’est-ce que tu fous, mais qu’est-ce que tu fous ? Lui murmurait dans mon oreille : dis-lui que tu l’aimes, que tu rentres. Tu ouvrais la porte de l’appartement, tu mettais mes affaires dehors, tu disais : et ton ordinateur avec, viens vite avant qu’on te le pique — je ne comprenais plus.

Je m’étais levé sans savoir.

Je ne sais plus qui a raccroché, comment.

Je ne sais plus ce que G a dit, ou si c’est à cause de l’expression de son visage.

J’ai brusquement ramassé mes affaires en gueulant que j’en avais marre que les hommes me disent ce que je devais faire, je n’en pouvais plus, G qui disait : dis-lui que tu l’aimes, moi qui l’aimais et qui t’aimais, et toi qui me menaçais, je n’en pouvais plus, j’avais ramassé mon sac, j’avais claqué la porte de chez lui.

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